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Bafouille from nowhere
9 novembre 2010

Place de Trevi, Rome : 11 août 2009, 15h31

 

 

 

A l’étranger j’ai souvent le sentiment d’être une bactérie. Une bactérie, ce n’est pas forcement nocif pour le corps et parfois, elle contribue même à sa survie. Mais malgré tout elle reste une infâme petite bestiole. Je ne peux m’empêcher de nous voir, moi et mes semblables, comme de dégoûtants êtres unicellulaires grouillants sur un corps qui n’en demandait pas tant. Je déteste être un touriste. Le touriste est bruyant, goinfre, omniprésent et très mal habillé. Il a, par sa seule présence, le pouvoir exorbitant de gâcher le plus bel endroit du monde. Il dérange l’autochtone, se croit partout chez lui de l’Himalaya au Mato Grosso, il impose sa personne, sa langue, sa culture à ceux qu’il visite comme on observe des animaux au zoo (j’ai vu aujourd’hui un touriste avoir l’impudeur de photographier une mendiante). Grâce à lui la fontaine de Trevi ressemble à la piscine municipale de Trifouillis-les-Oies.

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Inutile d’essayer d’imaginer les fastes de l’antique Rome pontificale ou de se remémorer Marcello et Anita prenant un bain nocturne et érotique dans ce bassin de rêve. Partout où se porte le regard, ce n’est que tongs en plastique, shorts en acrylique, T-shirt criards, chapeaux ridicules et appareils photo sur estomacs rebondis. On ne peut qu’assister, impuissant, à l’assassinat, par cette masse grossière, de cette merveilleuse fontaine. Hélas, je ne suis pas moi-même exempt de tout reproche. Je porte un short, mon appareil photo trône sur un estomac amplement rebondi et, si je ne l’avais oubliée, mon crâne serait magnifiquement orné d’une improbable casquette. Dieu sait comme j’aimerais n’être pas un touriste. J’aimerais être un étranger, ou encore mieux, un voyageur.

 

Je pense que le mot touriste vient du « Grand Tour ». A partir du XVIIème siècle il était de tradition les rejetons des nobles familles anglaises effectuent, à dix sept ou dix huit ans, le « Grand Tour », c’est-à-dire que pendant une année ou plus, ces jeunes hommes accompagnés par un mentor visitaient le berceau de la culture, la France, l’Allemagne et surtout Florence, Venise, Rome. Bien sûr, à la faveur d’un assouplissement de la surveillance ou de la libéralité excessive d’un mentor défectueux, nos joyeux puceaux en profitaient pour se déniaiser (les guides touristiques de l’époque proclamaient que les professionnelles de Venise étaient les meilleures), pour perdrent des fortunes paternelles au Pharaon (le poker de l’époque) et quelquefois pour s’attirer de mauvaises querelles avec d’infâmes compagnons de beuverie. Somme toute un heureux carnaval pour âge bête !

 

Puis le temps a changé, il est devenu de l’argent. Alors pourquoi le perdre à baguenauder aux frais de papa. Et puis le monde, si vaste jusqu’alors, est devenu si petit grâce au train puis à l’avion. Bref, le « grand Tour » a passé et le touriste est resté. Le temps et la distance, voilà la différence entre l’étranger, le voyageur et le touriste. Le touriste va vite et loin, il visite au pas de course des lieux où il faut s’arrêter, il ne regarde pas le monde passer, on le regarde s’agiter. Coincé entre ses congés payés et les innombrables beautés du monde, il veut tout voir et ne voit rien. Le voyageur est lent. Il s’arrête dans d’interminables haltes et s’abandonne à l’instant.

 

Mon cher Casanova est l’étranger et le voyageur parfait. Etranger parce qu’il est allé frotter son étrangeté à l’étrangeté des autres (et faites lui confiance pour se frotter), voyageur parce que sa vie fut un long et unique voyage. Touriste, il ne le fut jamais. Il ne passe pas, il demeure... Et lui, vénitien, exilé du paradis qu’il pleurait tendrement, il fut bien plus français, anglais, espagnol, batave… que beaucoup de ceux qui pouvaient se prévaloir d’une de ces nationalités. Partisan de l’adage « A Rome, fais comme les romains », il vécu en s’arrêtant souvent et longtemps. Quel bonheur d’arriver dans une ville inconnue, d’être étonné par tout, de tout voir avec un œil neuf, ironique et ému, puis de repartir en laissant un peu de son cœur à jamais nostalgique de ce nouveau chez soi. Voilà le suprême luxe, celui du voyageur lent et inconsolable de toutes les vies qu’il a passées ailleurs…

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